jeudi 27 novembre 2008

chronique accompagnante, jeudi 27 novembre

J'avais dans ma poche un appareil de photos et les enfants ont vite compris que je n'attendais que leur sourire pour jouer du flash! Bon, tout d'abord, je voulais prendre le corridor, celui du deuxième, là où on voit tous les souliers devant les portes. Malheureusement, il était trop tard et mon flash m'a dénoncée! Et ce redzipéteur a recommencé quand j'ai photographié la cuisine si sale en pensant combien j'aurais de la difficulté à devoir préparer des repas si j'habitais là... Mais je n'ai pas pensé longtemps: "madame, tu me prend en photos?" c'est plus un ordre qu'une demande à laquelle j'obtempère volontiers dans un brouhaha juvénile :-))
Des portes se sont ouvertes: la grand-maman qui avait eu si peur l'autre jour est venue: tout d'abord, elle était un peu hésitante, mais elle n'a pas résisté longtemps aux cris joyeux des enfants! Dommage, j'ai raté son plus beau sourire, quand elle ôtait son foulard vert, découvrant ainsi ses cheveux blancs. C'est peut-être stupide, mais je ne sais pourquoi, je n'imaginais pas ses cheveux blancs... Elle s'est lancée dans une longue conversation. Visiblement, il était question des nombreux enfants qu'elle avait élevé. Je l'ai su car à un moment elle a pris ma main gauche, à frôlé furtivement mon alliance et m'a montré six avec ses doigts. Et comme je n'ai pas six enfants... Ce couloir sombre est devenu une place de jeu: des fillettes se sont trouvées l'espace d'un moment mannequin. Promis, la semaine prochaine, je leur apporterai "photo-papier".
Puis les piles ont exprimé leur fatigue. On a discuté encore un moment de notre journée, des adultes me pressaient de venir boire un café dans leur chambre. Une dame se tenait en retrait, je l'ai regardée. Elle vient de l'Afghanistan, si j'ai bien compris. On s'est serrée dans les bras, elle a reculé et m'a montré l'appareil de photos que je tenais encore, en pointant son doigt vers elle. Par chance, les piles reposées ont accepté quelques minutes de travail supplémentaire. "elle aussi, papier photo" m'a précisé un enfant en souriant, fier de son français!

Witness

mercredi 26 novembre 2008

Témoignage

Il est arrivé un peu par hasard en Suisse : il voulait juste que le bruit des armes à feu cesse de résonner dans ses oreilles, ses jours et ses nuits. Il voulait juste pouvoir sortir de chez lui sans craindre un attentat, rester chez lui sans craindre une intrusion. Sa maman l’a béni avant qu’il ne parte : elle pleure à chaque rare échange téléphonique.
Pis lui, attribué au canton de Vaud, s’est essayé dans de nouvelles relations. Consigné au centre de Vennes, il l’a fuit avec application pour éviter ces miroirs présentés par d’autres jeunes hommes parqués comme lui. Déménagé à Bex, il a essayé d’entrer en contact avec des Suisses. Petit à petit, il a essayé de construire des relations juste normales. Il s’est appliqué avec ses quelques mots de français appris ici et là. Il voulait s’inscrire à un cours de langue, même s’il n’en avait pas le droit. Il se sentait soutenu.
Puis, un jour, sans trop bien comprendre pourquoi, il a été encore déménagé. Avec non plus une modique somme pour se nourrir, mais des repas distribués à heures fixes. Et s’il n’y est pas, rien.
On se rencontre à la gare : il s’est présenté au contrôleur avant de monter en train, lui tendant ses papiers en gage se sérieux, lui expliquant qu’il était attendu par quelqu’un qui allait lui payer le billet. Un contrôleur coopérant, humain a eu confiance en lui. Il pleure en le remerciant.
Il me regarde et me glisse: ma maman, pas aimer voir toi payer pour moi, pas comme ça. Le contrôleur l’entend et lui donne la somme que je viens de régler.
Le train repart, il continue son trajet.

Witness

jeudi 13 novembre 2008

chronique accompagnante, jeudi 13 novembre

Elle boit son café à petites gorgées. La porte fermée de sa chambre, c'est comme une petite bulle dans cette fourmilière qu'est un centre, ô pardon un foyer. Elle boit lentement son café à petites gorgées, ravie de ma visite. Tout à coup elle me demande si je désire une tranche de gâteau. Un gâteau? Oui, on parlait avec les copines et on avait envie d'un gâteau. On a rassemblé tout ce qu'on avait qui pouvait faire un gâteau. Tu veux?
Elle ouvre délicatement la porte de son armoire et sort prudemment LE gâteau. Je suis surprise, il est si peu mangé. Est-ce dû à son goût? il a été fait avec si peu... Elle m'en coupe une large tranche et me la tend. C'est bon. C'est délicieusement bon. Elle est ravie qu'il me plaise: tu sais on a fait attention de ne pas tout le manger aujourd'hui. Demain, il en restera encore!
Elle boit délicatement son café à petites gorgées, me regardant manger cette tranche de bonheur cuisiné.
Et dans le calme de cette chambre, elle me raconte: la porte de sa chambre vient d'être réparée et c'est un bonheur que de la savoir pouvant se fermer. Sa copine de l'étage d'en dessous a trouvé un mec dans sa chambre. Ils se sont battus, elle hurlait.
Sa tasse de café est vide. Elle me sourit, tellement contente de ce moment protégé.

Witness

jeudi 6 novembre 2008

chronique accompagnante, jeudi 6 novembre

Jeudi 6 novembre

Elle parle. Elle parle. Elle parle encore et encore. Elle m'explique combien il est difficile pour elle de ne rien laisser paraître de sa détresse intérieure. Pour ses enfants, mais aussi pour ses compagnes d'infortune. Alors, comme je suis de l'extérieur, elle parle. Elle raconte son père qui se meurt au pays et qu'elle ne peut qu'entendre s'essouffler au travers d'un téléphone récupéré, usé, qui amplifie le désarroi et la tristesse. Elle raconte la promiscuité, la difficulté à se faire obéir par ses propres enfants, toujours sollicités par d'autres enfants. Son petit dernier s'approche et pose la tête sur la cuisse de sa mère. Sans même que nous nous en rendions compte, il s'endort, là, à moitié debout. Elle se tait. Nous regardons cette vie qui sommeille si sereinement. Nous nous sourions dans le silence. 

Ils parlent. Lui, avec ses quelques mots de français, d'italien et d'allemand, elle plus agile, plus compréhensible. Ils parlent, racontent leur guerre, les maisons détruites, les soldats, la famille disparue. Ils parlent encore et encore, il parle quand elle va dans sa chambre chercher une feuille qui manque au dossier. Un des enfants s'est endormi à table, tenant le biscuit dans une main, l'autre bras replié sous sa tête. Nous le regardons dormir, si tranquille, se sentant en sécurité alors que ses parents pleurent des refus successifs. Il dort si bien que spontanément nous baissons la voix. Juste lui laisser ses rêves, encore, un peu.

Je monte au troisième étage. Je reste un moment à regarder les chaussures qui ponctuent ce long couloir. Il fait froid à l'extérieur des chambres: les fenêtres sont ouvertes et laissent s'échapper des odeurs de poissons, de tourte, de viande.  Des vies qui se bousculent par odeurs interposées, des traditions qui refusent le mélange. Près de la cage d'escalier, je rencontre une grand-maman que je vois régulièrement. Je m'approche pour l'embrasser comme d'habitude. Elle me regarde effrayée, recule, cherche du regard angoissé un de ses petits-enfants. Une fillette lui raconte qui je suis: elle est toute désolée cette grand-maman qui ne mange plus depuis une semaine, qui pleure un retour obligé. Nous nous enlaçons, elle reste là, tremblant. La fillette la prend par la main et la ramène dans leur chambre commune. Une autre m'explique: "c'est à cause de la police, tu sais, ils sont venus deux fois. Une fois pour prendre une famille, une fois, cette nuit, pour prendre les méchants. Elle croit que la prochaine fois, la police la prendra elle."

C'est vrai qu'en venant tout à l'heure, j'ai entendu aux informations que la police avait perquisitionné des chambres au centre. Mais, étrangement, j'ai occulté cette nouvelle en entrant dans ce lieu. Je venais voir des familles que je côtoie hebdomadairement, et cette nouvelle diffusée sur les ondes était si peu pertinente dans nos rencontres...


Witness

dimanche 2 novembre 2008

Chronique accompagnante dans un foyer d'aide d'urgence - Jeudi 30 octobre

Il pleut. Il fait froid. Rien que l’idée d’aller au centre me glace les os. Avant même avoir pris ma voiture, je sens déjà les odeurs bruyantes et les bruits acres qui me rongent le fond de la gorge. Hier soir, j’ai accompagné un jeune devenu suisse: convoqué au recrutement, il s’est souvenu des bruits assourdissants et des odeurs suffocantes de la guerre. Le docteur n’a pas fait long pour être convaincu que d’envoyer ce jeune à l’armée serait faux. Après la rendez-vous, le calme a été long à revenir. Les souvenirs se pressaient, ravis d’exposer leurs blessures.
Alors dans ma voiture, j’ai froid, j’ai sommeil et j’arrive juste pour la permanence. Bien que située dans un local à une centaine de mètres du centre, la première personne à se présenter ravive brusquement les odeurs, les bruits. Cette mère de famille nombreuse me présente un paquet de feuilles. Ces feuilles sont toute sa vie ici en Suisse. Elles racontent le combat perdu, désespéré d’humains pour avoir le droit à la dignité. Oh, pas un grand droit: juste de quoi se tenir droit dans la vie, juste de quoi élever les enfants.
Je la regarde différemment aujourd’hui: ma fatigue m’enlève quelques protection! Je discerne qu’elle a dû être belle et comme un gribouillis furieux d’enfant fâché, je vois les galères traversées qui balafrent son visage. Son enfant de dix ans est là, parlant le français comme tous les enfants suisses, fâché d’avoir dû suspendre sa vie d’enfant pour s’occuper de trucs d’adultes. Et cette odeur qui s’échappe des dossiers raconte encore plus violemment que les larmes retenues: refus, renvoi, mesures de contraintes, paiements. Quoi dire, comment le dire? Je remets de l’ordre dans ses dossiers: des feuilles indiscrètes m’informent de leur peine à se conformer aux habitudes de civilité suisse (tel qu’écrit!). Ça m’énerve: c’est quoi cette histoire de civilité alors que cette famille va être renvoyée au pays, dans un coin que j’ai visité lors d’un voyage? Je ferme les yeux: les odeurs des arbres, le silence s’entrechoquent. Il n’y a rien à faire dans ce coin de pays comme il n’y a rien à faire dans le centre. Des indigènes s’étaient approchés de moi, m’offrant une grenade. Je lui offre quoi moi à cette femme qui tout à l’heure a dû presque se battre pour avoir un peu de nourriture, surplus des magasins locaux?
Mais bon, pas le temps de s’épancher. Au suivant. AU SUIVANT chante le Grand Jacques dans ma tête.
A la suivante: la femme sourit. Elle raconte un peu sa vie. Elle raconte surtout sa vie dans les centres vaudois: je défie quiconque de mieux connaître les centres tant elle a été déplacée, replacée, placée... Une professionnelle attentive a effectué une démarche inconnue de son accompagnatrice. J’explique qu’il me semble que c’est une bonne initiative. Un peu d’espoir partagé avidement. Elle repart, sérieuse et apaisée. Elle quitte les lieux alors que j’ai dû rapidement passer dans une autre pièce. Je la rappelle, elle revient en arrière et nous nous embrassons. Merci, me glisse-t-elle à l’oreille. Elle retourne au centre dans le bruit, les cris, les toilettes bouchées, les claquements de portes. J’inspire un grand coup et je frissonne.
Au suivant.

A witness