jeudi 6 novembre 2008

chronique accompagnante, jeudi 6 novembre

Jeudi 6 novembre

Elle parle. Elle parle. Elle parle encore et encore. Elle m'explique combien il est difficile pour elle de ne rien laisser paraître de sa détresse intérieure. Pour ses enfants, mais aussi pour ses compagnes d'infortune. Alors, comme je suis de l'extérieur, elle parle. Elle raconte son père qui se meurt au pays et qu'elle ne peut qu'entendre s'essouffler au travers d'un téléphone récupéré, usé, qui amplifie le désarroi et la tristesse. Elle raconte la promiscuité, la difficulté à se faire obéir par ses propres enfants, toujours sollicités par d'autres enfants. Son petit dernier s'approche et pose la tête sur la cuisse de sa mère. Sans même que nous nous en rendions compte, il s'endort, là, à moitié debout. Elle se tait. Nous regardons cette vie qui sommeille si sereinement. Nous nous sourions dans le silence. 

Ils parlent. Lui, avec ses quelques mots de français, d'italien et d'allemand, elle plus agile, plus compréhensible. Ils parlent, racontent leur guerre, les maisons détruites, les soldats, la famille disparue. Ils parlent encore et encore, il parle quand elle va dans sa chambre chercher une feuille qui manque au dossier. Un des enfants s'est endormi à table, tenant le biscuit dans une main, l'autre bras replié sous sa tête. Nous le regardons dormir, si tranquille, se sentant en sécurité alors que ses parents pleurent des refus successifs. Il dort si bien que spontanément nous baissons la voix. Juste lui laisser ses rêves, encore, un peu.

Je monte au troisième étage. Je reste un moment à regarder les chaussures qui ponctuent ce long couloir. Il fait froid à l'extérieur des chambres: les fenêtres sont ouvertes et laissent s'échapper des odeurs de poissons, de tourte, de viande.  Des vies qui se bousculent par odeurs interposées, des traditions qui refusent le mélange. Près de la cage d'escalier, je rencontre une grand-maman que je vois régulièrement. Je m'approche pour l'embrasser comme d'habitude. Elle me regarde effrayée, recule, cherche du regard angoissé un de ses petits-enfants. Une fillette lui raconte qui je suis: elle est toute désolée cette grand-maman qui ne mange plus depuis une semaine, qui pleure un retour obligé. Nous nous enlaçons, elle reste là, tremblant. La fillette la prend par la main et la ramène dans leur chambre commune. Une autre m'explique: "c'est à cause de la police, tu sais, ils sont venus deux fois. Une fois pour prendre une famille, une fois, cette nuit, pour prendre les méchants. Elle croit que la prochaine fois, la police la prendra elle."

C'est vrai qu'en venant tout à l'heure, j'ai entendu aux informations que la police avait perquisitionné des chambres au centre. Mais, étrangement, j'ai occulté cette nouvelle en entrant dans ce lieu. Je venais voir des familles que je côtoie hebdomadairement, et cette nouvelle diffusée sur les ondes était si peu pertinente dans nos rencontres...


Witness

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